Par Michel Carrier

 

Mon aventure amoureuse avec la pêche vue le jour il y a très longtemps. Je n’avais que cinq ou six ans quand ma grand-mère Irène nous a emmené, mon frère et moi, au ruisseau Sisson, un petit cours d’eau situé à quelques pas du camp que mon grand-père avait construit en forêt dans le nord-ouest du Nouveau-Brunswick. Arrivés sur place, « Mémére » coupa quelques aulnes auxquelles elle attacha une quinzaine de pieds de fil de pêche noire (similaire au backing qui se trouve maintenant sur mon moulinet à saumon). Cela n'aurait pas pu être une canne à pêche plus rustique, mais nous étions impressionnés qu'elle puisse façonner une telle canne en quelques minutes. Après avoir noué un hameçon au bout de la ligne, elle nous démontra comment y attacher un ver de terre.

Sous ses encouragements et ses bons conseils, mon frère et moi tentions de faire flotter l’hameçon appâté vers une partie plus profonde du ruisseau, où nous pouvions voir quelques truites se reposer à l’ombre. Après quelques tentatives, l’une d’elles s’est lancé sur mon offrande et, dans mon excitation, j'ai tiré si fort sur la branche d'aulne que la pauvre moucheté est sortie en flèche de l’eau et passa au-dessus de nos têtes. L’hameçon s'est alors décroché et la truite a continué son envol pour atterrir dans des herbes hautes à quelques mètres de nous. Ne voulant surtout pas perdre ma première capture à vie, je me suis lancé en panique, accompagné de ma grand-mère et de mon frère, vers l’endroit où elle était tombée. Il n’en prit que quelques secondes pour la retrouver et même si le poisson avait moins de dix pouces, c’était pour moi un trophée que j’ai fièrement ramené au camp. À ce jour, quelque soixante-quatre ou cinq ans plus tard, je me souviens à quel point j'étais fier non seulement d'avoir attrapé cette petite truite, mais à quel point ma grand-mère avait l’air heureuse de mon exploit. Comme grand-parent, je peux maintenant apprécier la joie qu'elle a pu ressentir d'avoir pu vivre ce moment avec nous. Avec le recul, je sais que ces quelques moments précieux vécus en cette matinée ensoleillée de juillet il y a de ça plusieurs décennies ont été l'étincelle qui a enflammé ma passion pour la pêche.

Au fil des ans, cette passion s'est intensifiée, surtout lorsque j'ai découvert la pêche à la mouche et le montage de mouches, des activités que je continue de pratiquer et de chérir. Cette grande aventure dans laquelle je me suis lancée ce jour-là a apporté tant de plaisir et de sérénité dans ma vie. Ce n'est qu'après de nombreuses années que j'ai saisi que c'était, comme beaucoup d'autres l'ont compris, bien plus qu'une quête pour attraper un poisson. Ceux qui partagent ma passion le comprennent. Pour ceux qui n’ont pas la piqure, je souhaite seulement qu'ils aient ou puissent trouver une activité ou une poursuite qui puisse leur donner autant de plaisir et d'épanouissement que la pêche m'a apporté toutes ces années passées à taquiner la truite, le saumon, le brochet et autres espèces. J'aimerais que ma grand-mère soit toujours avec nous afin que je puisse partager ces pensées avec elle et la remercier pour l'énorme cadeau qu'elle m’a offert ce jour-là. En écrivant ces quelques mots, je souhaite qu'un jour je pourrai moi aussi partager de tels moments avec mes petits-enfants. L’équipement qui leur sera fourni sera certainement plus moderne et raffiné que l’était la tige d’aulne avec laquelle j’ai attrapé ma première truite, mais j'espère de tout cœur qu’ils auront du plaisir et que ces moments resteront gravés dans leur mémoire à tout jamais.

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